L'Argonne

Sur les pas d'André Theuriet : La Chanoinesse (2)

Après avoir molester à mort le commerçant Pelissier, le funeste cortège se dirige vers le quartier du Bourg à Bar-le-Duc.

Première partie, 1789, II Noblesse de province

P.14 "Le quartier du Bourg, situé au pied de la colline, est traversé dans sa longueur par une rue qui met en communication la côte des Prêtres avec les principaux quartiers de la ville basse et qui, à cette époque, se nommait la rue Saint-Antoine. De vieux logis bâtis au commencement du XVIIe siècle et dont les façades sont décorées dans le style de la Renaissance, lui donnent assez grand air".

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P.14 "L'un d'eux, s'élevant en face de l'église des Antoinistes et remarquable par son perron à rampe de fer forgé, ses fenêtres à croisillons délicatement ouvragés, son attique surmonté de gargouilles grimaçantes, était alors occupé par la famille de Rosnes".
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P.14 "Tandis que l'émeute commençait à gronder autour de Saint-Maxe, Mme Glocynde de Rosnes, veuve d'un conseiller à la Chambre des comptes du Barrois, s'installait après diner dans son salon du premier étage dont les croisées ouvraient sur la rue, et y devisait paisiblement avec sa nièce, Hyacinthe d'Eriseul, et son vieil ami, le chevalier Daniel de Vendières".

P.17 "Assise près de l'une des fenêtres et recevant en plein le filet de lumière qui passait à travers l'entrebâillement des volets, Hyacinthe d'Eriseul brodait au tambour. Vêtue de laine blanche, elle portait sur l'épaule gauche la croix de chanoinesse. Elle faisait en effet partie du chapitre de l'abbaye de Poulangy où l'on n'était admis qu'en prouvant dix quartiers de noblesse du côté paternel, et quatre du côté maternel. Orpheline et ayant une fortune médiocre, elle était entrée de bonne heure dans cette royale maison dont la règle peu sévère assurait aux chanoinesses l'indépendance et la respectabilité des femmes mariées, tout en leur épargnant les inconvénients du mariage".
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P.18
"— Ho! ho! M. le député du Tiers est donc à Bar?
—lI y est venu pour quelques jours à cause de cette fameuse adresse des notables... A propos, chevalier, pourquoi n'êtes-vous pas allé à Saint-Maxe?
— Pourquoi?... D'abord parce que je ne suis pas d'humeur à adresser des compliments à la prétendue Assemblée nationale... Et puis parce qu'on assure qu'il y aura du grabuge là-haut et que je ne me soucie pas de me trouver dans la bagarre.
- Et qui tapagera, s'il vous plaît?
- Les vignerons et les tisserands, qui en veulent à Pélissier, le marchand de grains... Voilà plusieurs jours qu'ils s'attroupent devant l'Hôtel de Ville et menacent de pendre cet homme à un réverbère..."
 

P.19 "- Après tout, ajouta ironiquement le chevalier en puisant dans sa tabatière, votre député Baujard, qui est l'ami de ces gens-là, aura sans doute assez d'influence pour apaiser l'orage... En l'honneur de quel saint vous fait-il visite?"

P.19 "— Ce monsieur Baujard venait autrefois à La Chalade, chez ma tante de Saint-André, dit la chanoinesse Hyacinthe".
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P.20 "- En attendant, il flatte les démagogues, répliqua le chevalier... Nous sommes incorrigibles, nous autres, nous réchauffons dans notre sein de jeunes serpenteaux qui s'empressent de nous mordre dès que leurs dents ont poussé... C'est comme ce petit Renard, neveu du curé de La Chalade, dont votre sœur Saint-André s'est engouée; ne se mêle-t-il pas de rimer de mauvais vers sur la prise de la Bastille !"
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P.21 "Le député fit quelques pas, s'inclina devant la maitresse du logis et lui baisa respectueusement la main.
- Madame, répondit-il, je ne voulais pas quitter Bar sans avoir l'honneur de vous présenter mes hommages.
- Merci, mon cher Baujard, vous êtes le bienvenu et vous vous trouverez en pays de connaissance... Voici le chevalier de Vendières et la chanoinesse d'Eriseul, ma nièce, que vous avez rencontrée jadis à La Chalade.

P.22-23 "- Une révolution, s'écria M. de Vendières, en levant les bras, voilà le gros mot lâché! Eh bien! non, monsieur, notre devoir est de conserver la monarchie que des factieux veulent détruire!
- L'Assemblée, déclara gravement Baujard, a le plus profond respect pour la monarchie et le monarque; mais le roi est mal conseillé et ce sont ces conseillers perfides qui risquent de compromettre la paix du royaume".

P. 24 "Elle le regarda de côté et trouva que, lorsqu'il. souriait, il avait l'air plus jeune et plus aimable. Elle comprit qu'elle n'arriverait à rien en le heurtant en face et répondit gaiment :
- Vous imaginiez-vous que nous étions cloitrées?... Nous avons le droit de passer chaque année un mois chez des amis ou trois mois chez nos parents... J'en ai profité pour visiter ma tante de Rosnes.
— Et vous ne vous ennuyez pas derrière vos grilles? .
- D'abord, il n'y a point de grilles à l'abbaye... Nous avons chacune notre appartement et nous nous recevons à tour de rôle. Beaucoup de ces dames sont bonnes musiciennes; nous nous donnons souvent de petits concerts qui ne manquent pas d'agrément..."

P.25 " Quand on est enfant, on n'oublie rien, surtout lorsqu'on vit dans une campagne aussi solitaire que La Chalade".
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P. 25 " Tandis que Mme de Rosnes et le chevalier s'étaient installés sans façon à leur table de trictrac, le député et la chanoinesse évoquaient les souvenirs de leur commun séjour à La Chalade. Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre ayant mis la nature à la mode, les deux causeurs s'extasiaient à tour de rôle sur les vastes profondeurs des forêts de l'Argonne, sur les étangs clairs, enceinturés de joncs, sur la paix des villages perdus en plein bois".
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P.26-27 "Du haut de la rue Saint-Antoine, embrasée dans toute sa longueur par les rayons déjà obliques d'un rutilant soleil, une foule compacte, houleuse se ruait avec de rauques glapissements. Sur ses flancs, des forcenés ébranlaient à coups de bâtons les volets clos des maisons riveraines, ou exécutaient de farouches danses de sauvages, à droite et à gauche d'une charrette lancée au grand trot".
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P.27 "La foule des émeutiers venait de faire halte, juste en face des fenêtres, sur la place des Antoinistes, où coulait alors un ruisseau. Deux hommes empoignèrent le corps de Pélissier et le couchèrent dans l'eau; une femme s'accroupit sur le bord, tourna le visage du malheureux négociant vers le carré de ciel bleu qui s'ouvrait immaculé au-dessus des toits :
- Regarde le ciel, lui dit-elle, et demande-lui pardon!
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P.29 "- Vous avez raison, Baujard, répondit Mme de Rosnes; le séjour de cette ville de cannibales devient dangereux pour nous... Nous pourrions nous rendre à La Chalade, chez ma sœur de Saint-André..."
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P.29 "— Je regrette, madame, de vous quitter si brusquement, et je souhaite que nous nous revoyions dans un milieu plus paisible.
— Au revoir donc, monsieur! répondit la chanoinesse en lui tendant la main. Il la baisa, salua et, gagnant la rue redevenue déserte, il remonta dans la direction de la ville haute.
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Documentation :
André Theuriet, La Chanoinesse 1789-1783, Armand Collin et Cie Editeurs - Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Date de dernière mise à jour : 22/06/2024

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